« Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme – je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »

Après plus de 50 ans de ce discours historique de Mme Simone Veil, le 4 mars 2024, le droit à l’IVG a été constitutionnalisé par les membres du Congrès. Cet événement ouvre également une ère dans la constitutionnalisation de l’IVG et les droits des femmes.

Dans cet article, l’objectif est d’expliquer la situation actuelle en France, aux Etats-Unis, en Turquie et dans le reste du monde relatif à l’évolution du droit à l’avortement. Nous mettrons en lumière les procès de Bobigny et l’arrêt Roe c. Wade.

  1. La France

Le 8 octobre 1972 marque un moment clé en France avec les procès de Bobigny, où Marie-Claire Chevalier a été jugée pour avoir choisi d’avorter. Les procès restent dans la mémoire collective française grâce à Mme Gisele Halimi, une avocate, qui a transformé le procès de Bobigny en un débat sur la loi répressive, plutôt que sur les accusées.

5 femmes ont été jugées pour des crimes liés à l’avortement mais ce procès serait différent des autres cas auxquels les femmes étaient confrontées depuis des dizaines d’années. Le premier procès a été ouvert pour Marie-Claire Chevalier, âgée de 16 ans. Étant mineure, son cas a été disjoint de celui des quatre autres femmes adultes. A la fin de procès, Marie-Claire a été relaxée, car on considérait qu’elle n’avait ni délibérément ni volontairement choisi d’accomplir l’acte qui lui était reproché. Le jugement indiquait qu’elle avait souffert, disait le jugement, de « contraintes d’ordre moral, social familial, auxquelles elle n’avait pas pu résister. »

Le second procès de Bobigny, celui de la mère de Marie- Claire et des trois autres femmes va être déterminant dans le combat pour faire évoluer la législation. Pour Mme Halimi, le second procès doit être un procès politique, dont les enjeux dépassent le sort immédiat des inculpés, « parce que les accusés se font accusateurs, qu’ils décident de faire du tribunal une tribune et que, par-delà les juges, c’est à l’opinion publique tout entière qu’ils s’adressent. » le procès a tourné un point marquant par les témoins – professeurs de médecine, philosophes, hommes politiques…- qui n’ont pas de lien direct avec l’affaire en jugement mais aussi qui viendront publiquement dénoncer l’iniquité de la loi réprimant l’avortement. Avec l’audition des grands témoins, le tribunal se transforme véritablement en tribune politique et le procès est mis en délibéré au 22 novembre suivant. La chose plus importante dans cette affaire est la réussite de Mme Gisele Halimi qui pouvait mettre les pouvoirs publics au pied du mur : En dépit de cette réussite spectaculaire, le gouvernement gaulliste a préparé un projet de loi décevant. Madame Simone Veil, ministre de la sante, mettra le dernier point au terme d’un débat houleux au parlement, la loi Veil qui autorise l’IVG est promulguée le 17 janvier 1975 et paraît le lendemain au Journal officiel. C’est l’aboutissement d’un long combat dont le procès de Bobigny a été l’un des plus importants jalons.

Après cette victoire historique, la loi a été modifiée 9 fois entre 1975 à 2022. Ces modifications ont inclus le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale, l’allongement du délai à 12 semaines puis à 14 semaines, la suppression de l’autorisation parentale pour les mineures, ainsi que la suppression de la notion de « détresse » dans la phrase de « la femme enceinte que son état place dans une situation de détresse » entre autres.

Le 8 mars 2024, la Loi Constitutionnelle a été promulguée, comportant un article unique qui modifie l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Par ce texte, la France devient le premier pays au monde à reconnaitre dans sa Constitution la liberté de recourir à l’avortement.

  1. Les Etats-Unis

Dans les années 1960 et 1970, l’accès et le droit à l’avortement sont devenus l’un des sujets de débat national aux Etats-Unis. Avant cette revendication et la décision impressionnante de la Cour Suprême, les États avaient des lois très strictes et précises sur l’accès à l’IVG qui le rendait illégal sauf quelques exceptions fondamentales de la vie de mère. Contre cette législation restrictive, les lois et les droits fondamentaux ont été remises en question par les mouvements féministes qui ont plaidé pour le droit des femmes à disposer de leur corps.

En 1973, tout a changé ; selon certains, ce n’est pas peut-être équivalent à la constitutionnalisation de la garantie à l’accès à l’IVG en France, mais la décision historique rendue par la Cour Suprême des États-Unis dans l’affaire Roe c. Wade, fondée sur la Constitution Américaine est une pierre angulaire du mouvement féministe aux États-Unis et dans le monde entier.

La Cour a déterminé que l’avortement est un droit constitutionnel qui est protégé par le 14eme amendement de la Constitution Américaine notamment par sa clause de protection de la vie privée. Nonobstant la Cour a donné une autorisation aux États à réglementer l’avortement dans certaines circonstances, elle l’a légalisé dans tout le pays. Après cette décision révolutionnaire, les opposants et les conservateurs ont cherché de trouver une alternative pour restreindre ou même supprimer complètement ce droit établi par la décision.

En 1992, la Cour Suprême a confirmé sa position dans une autre affaire, Planned Parenthood c. Casey concernant l’avortement. Elle a autorisé les États à imposer des restrictions sur l’avortement à condition qu’elles ne créent pas de « fardeau excessif » pour les femmes cherchant à avorter, jusqu’à 23 semaines après le début de la grossesse. Ainsi, avant ce délai, l’IVG doit être garanti sans trop de difficultés.

Quand la Cour Supreme a pris sa décision le 24 juin 2022, la protection de l’avortement a été supprimée. Dans l’affaire Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization, la Cour statué, par 6 voix contre 3, que la loi du Mississipi – qui interdit la plupart des avortements après 15 semaines de grossesses- est valide. Par 5 voix contre 4, la Cour a également déclaré que le droit à l’avortement n’est pas un droit constitutionnel. Cette affirmation reposait que ce droit n’est ni explicitement mentionné dans le texte fondateur ni ancré dans l’histoire des Etats-Unis. Avec cette décision, la Cour a met fin pour la première fois à une jurisprudence instituée par la Cour Suprême, et donne la liberté, une autonomie aux États de définir sa propre politique en matière d’accès à l’IVG. Peu de temps après la tombée de l’arrêt Dobs, environ treize États ont adopté des lois prohibant l’avortement. En revanche, une dizaine d’États ont élargi son accès, en offrant une plus grande protection aux professionnels de la sante ainsi qu’aux patients.

  1. La Turquie

Jusqu’à la législation en 1965, l’avortement était complétement interdit dans tout le pays. Cependant, avec la Loi de planification démographique n° 557, l’avortement n’était plus considéré comme un crime s’il y avait une gravité de la santé de mère. La loi de planification démographique n° 2827, actuellement en vigueur, autorise l’IVG jusqu’à la dixième semaine de la grossesse avec la permission du conjoint, si elle est mariée. Après dix semaines, la permission des conjoints n’est pas suffisante pour avorter. La grossesse doit présenter un risque pour la sante de la mère ou pour l’enfant, ce qui pourrait affecter la vie de la personne et la sante des générations futures.

  1. Dans le reste du monde

En 2023, 75 pays autorisent le recours à l’interruption volontaire de grossesse, sur demande et sans restriction, dans le respect d’un certain délai et 13 autres pour des raisons socio-économiques. Malgré tous les développements, Dans plus de deux tiers des pays, le droit à l’avortement est limité. Sur 25 des 27 États de l’Union Européenne, l’IVG est légalisée ou dépénalisée sans besoin de justification de la part de la femme qui décide d’y recourir.

Selon la terminologie juridique, il y a des différences entre la dépénalisation et la règlementation de l’avortement :

  • La dépénalisation consiste à :
  • Supprimer les dispositions pénales qui répriment l’avortement
  • Abolir les sanctions qui visent celles et ceux qui aident les personnes enceintes à avorter.
  • La réglementation consiste à :
  • Assurer l’accessibilité et la disponibilité des soins pré et post-avortement
  • Garantir que ces soins soient surs et fournis sans discrimination
  • Conditionner que la pratique de l’avortement au consentement libre et éclairé de la personne concernée
  • Il ne doit jamais être pratiqué sous la menace ou la contrainte.

La liberté fondamentale des femmes d’accéder à l’avortement reste encore dans l’actualité alors que les groupes anti-avortement et les partis politiques conservateurs cherchent à restreindre ces droits. Il reste encore un long chemin à parcourir avant que les femmes ne bénéficient de leurs droits véritables et de leurs libertés fondamentales.

About the Author: Yasar Efe Kanat

Published On: May 2nd, 2024Categories: Human Rights Law

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