Dans cet article, l’objectif est d’analyser le seuil requis pour qu’une situation puisse être qualifié comme un conflit armé non-international (CANI) en lumière de l’Arrêt Boskoski du Tribunal pénal international pour l’ex-Yugoslavie (le Tribunal). Dans un premier temps, une série de définitions générales relatives au droit international humanitaire (DIH) et les conflits armés internationaux (CAI) et non internationaux (CANI) seront exposées. Ensuite, l’importance de distinguer un CANI des troubles et tensions internes sera soulignée. Dernièrement, on examinera les critères et le seuil du CANI établi par l’Arrêt Boskoski.

  1. Les définitions

  Le droit international humanitaire (DIH) est un ensemble de règles qui, pour des raisons humanitaires, cherchent à limiter les effets des conflits armés. Le DIH comprend deux types de conflits armés et différentes normes s’appliquent pour chacun. Le premier est le conflit armé international (CAI) qui se déroule entre deux ou plusieurs Etats. Le deuxième est le conflit armé non-international (CANI) qui se déroule entre les Etats et les groupes armées organisés ou entre de tels groupes au sein d’un Etat. Il est à noter que l’élément déterminant pour qualifier un conflit armé réside dans le recours à la force.

  1. L’importance de cette distinction

  Il est essentiel de distinguer un CANI des troubles et tensions internes car le DIH régit le premier (bien que le DIDH ne perde pas complétement son effet) alors que le droit international des droits de l’homme (DIDH) régit le deuxième. Les règles qui s’appliquent dans les deux situations ne diffèrent essentiellement que sur deux points : i) l’utilisation de la force contre les personnes considérées comme des cibles légitimes en DIH et ii) les raisons admissibles, le fondement juridique et les garanties procédurales nécessaires pour interner les ennemies.

  Pour la première problématique, le DIDH ne permet l’utilisation de la force légale que dans des situations extrêmes, contrairement au DIH. Ainsi, un test de proportionnalité différent s’applique dans les deux situations; évidemment, l’utilisation de la force est plus toléré dans les CANI.

  En ce qui concerne la deuxième problématique, le DIH pour les CAI permet aux belligérants de détenir les ennemis jusqu’à la fin des hostilités sans recourir à une procédure judiciaire et selon certaines opinions doctrinales, il est considéré que c’est un droit inhérent, même pour les parties impliquées dans les CANI. En revanche, le DIDH limite les raisons admissibles pour détenir une personne et exige un fondement juridique examiné par une cour indépendante et impartiale. De plus, il faut y avoir un conflit armé pour que la Cour Pénal International puisse persécuter les crimes de guerres (Art. 8/2/f du Statut de Rome). C’est pourquoi cette distinction est cruciale.

  • L’Arrêt Boskoski

  Dans l’arrêt Boskoski le Tribunal commence en se questionnant sa compétence matérielle. L’existence d’un conflit armé est une condition préalable pour le Tribunal de juger un crime de guerre. Dans les cas où la situation concrète ne se déroulait pas entre des États, on ne pouvait pas parler d’un CAI. Alors la question principale est de déterminer si les évènements survenus en Macédoine constitue ou non un CANI.

  Afin de distinguer un conflit armé du banditisme, d’insurrections inorganisées et de courte durée ou des activités terroristes; le Tribunal utilise les critères établis dans l’affaire Tadic. Pour se prononcer sur l’existence d’un CANI, le Tribunal devait apprécier deux éléments : i) l’intensité du conflit et ii) l’organisation des partis au conflit.

  1. Intensité du conflit

  On peut voir deux types d’indices pour évaluer l’intensité d’un conflit : i) les éléments symptomatiques comme la gravité des attaques et les violences armées prolongées et ii) les éléments structurels, c’est à dire la façon dont les organes de l’Etat réagissent.

  Premièrement, pour apprécier l’intensité d’un conflit, le Tribunal a pris en compte divers éléments symptomatiques. On peut regrouper ces éléments dans deux catégories : i) la gravité et ii) la nature prolongée du conflit. Les signes qui montrent la gravité du conflit en principe sont: la gravité des attaques, la multiplication et la propagation des affrontements armés, le renforcement et la mobilisation des forces gouvernementales, l’intensification de l’armement, le nombre de civils qui ont été forcés de fuir les zones de combat, le type d’armes utilisées (l’armement lourd), le blocus, le siège ou l’occupation de villes, l’ampleur des destructions et le nombre de victimes, le nombre de soldats ou d’unités déployés, l’existence de lignes de front entre les parties, l’existence d’ordres ou d’accords de cessez-le-feu et la question de savoir si le Conseil de sécurité de l’ONU s’est intéressé au conflit et a adopté des résolutions. De plus, le conflit doit être prolongé; donc le banditisme, les insurrections inorganisées, les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et la courte durée ou les activités terroristes ne constituent pas un conflit armé. Cependant, le Tribunal ajoute que cela ne signifie pas que les actes de nature terroriste ne doivent pas être pris en compte pour établir l’existence d’un conflit armé. En somme, il faut apprécier la gravité et la nature prolongée des violences pour déterminer l’intensité d’un conflit.

  Deuxièmement, au niveau structurel, la façon dont les organes de l’Etat, tels que la police et l’armée, font usage de la force contre les groupes armés est un élément révélateur de l’existence d’un conflit armé interne. Il faut analyser le recours à la force par les autorités de l’Etat et les interventions contre le droit à la vie et de ne pas être détenu arbitrairement pour apprécier si la situation est un conflit armé. Car, comme mentionné ci-dessus, ces deux droits peuvent être intervenu selon le DIH. Généralement, l’incapacité de la force police et la nécessité de l’engagement des forces armées dans les hostilités sont des bons indices au niveau structurel.

  1. Organisation du groupe armé

  En premier lieu, les forces armées d’un Etat sont présumées être organisées. Donc, il faut analyser l’organisation du groupe armé. L’article 3 commun de Conventions de Genève et l’article 1 du Protocole additionnel II ont introduit des seuils différents, le deuxième étant un seuil plus élevé car le groupe armé doive être « sous la conduite d’un commandement responsable », « exercer sur une partie de leur territoire un contrôle » tel qu’il leur permette de « mener des opérations militaires continues et concertées » et « d’appliquer le protocole ». Le Tribunal a pris en compte le seuil moins élevé de l’article 3 commun et l’article 8(2) (f) du Statut de Rome qui est « le degré d’organisation nécessaire pour se livrer à des violences prolongées ».

  Le Tribunal considérera qu’un groupe armé est organisé, s’il possède une structure hiérarchique et si son chef est capable d’exercer son autorité sur les membres dudit groupe. Cela correspond aux commentaires du CICR sur l’article 3 commun qui précisent que « …soumises à une certaine structure de commandement et doivent avoir la capacité de mener des opérations militaires et durables. De plus, il doit posséder un certain niveau de hiérarchie et de discipline et être capable de mettre en œuvre les obligations minimales du DIH ». Le Tribunal a classé les éléments symptomatiques pour apprécier le degré d’organisation en cinq catégories :

  • La présence d’une structure de commandement, notamment l’existence d’un état-major général ou d’un commandement supérieur. L’établissement d’un règlement interne prévoyant l’organisation et la structure du groupe est un bon indice.
  • La possibilité de définir une stratégie militaire cohérente et de mener des opérations militaires de manière organisée et à grande échelle. On peut ajouter la capacité de contrôler une partie du territoire à cette catégorie.
  • La présence d’un certain niveau de logistique, notamment l’aptitude à recruter des nouveaux membres et l’existence d’une formation militaire organisée. Le port d’uniformes est inclus dans cette catégorie.
  • Avoir la discipline nécessaire pour faire respecter les obligations fondamentales de l’article 3 commun. Pourtant, le fait que le groupe se livre à des violations systématiques de ce type ne signifie pas qu’il n’a pas le niveau d’organisation requis.
  • La capacité du groupe à parler d’une seule voix, et la capacité à négocier et à conclure des accords.
  1. Conclusion

    En conclusion, l’Arrêt Boskoski établit des critères pour déterminer le seuil d’un CANI, offrant ainsi une orientation précieuse pour la distinction entre les situations de troubles internes et les conflits armés. Cette distinction revêt une importance capitale, permettant l’application appropriée des normes juridiques, notamment en ce qui concerne l’utilisation de la force et la détention des individus. En clarifiant les éléments d’intensité du conflit et d’organisation des parties en conflit, cet arrêt représente un tournant dans l’application cohérente du DIH dans les contextes de CANI.

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